Dans une ferme de Loire-Atlantique, Depuis l’arrivée du parc éolien
A La Remaudière, la ferme de la Borderie constate de nombreux troubles : chute de la production, vaches malades, mortalité… Des dysfonctionnements depuis l’arrivée du parc éolien
« Les faits sont là », martèle Fabien Pineau, agriculteur qui gère avec sa mère le Gaec de la Borderie à La Remaudière, petite commune du Vignoble nantais (en Loire-Atlantique).
« Là », dans les nombreux comptes rendus, rapports de diagnostics et graphiques de passages à la traite que l’exploitant compile dans un épais dossier.
« Quatre mortalités en un an »
L’arrivée de ces faits est concomitante à l’installation du parc éolien voisin, à 800 mètres de là. La ferme familiale de 112 ha et 65 vaches laitières, exploitée depuis des décennies, n’avait connu aucun souci, jusqu’en 2023.
Mais depuis l’an dernier, l’exploitation enregistre des baisses régulières de production et des maladies à répétition (mammites, boiteries) dans le troupeau.
« En un an, on en est même à quatre mortalités », déplore Fabien Pineau.
Des autopsies sur les vaches mortes ont été réalisées par les services vétérinaires.
Pour eux, c’est du jamais vu. Les causes des mortalités sont inexpliquées. Il n’y a pas de lien disant qu’il y a quelque chose dans la ferme. C’est ce qu’on appelle des autopsies blanches. Fabien Pineau, agriculteur de La Remaudière
Chute de la production et mortalité depuis un an
Les premières anomalies remontent à juin 2023, au moment des travaux sur les fondations du parc éolien. L’agriculteur constate une chute brutale. De 4 litres de lait par vache. L’éleveur fait appel à un technicien aliments pour recaler les rations alimentaires. Le fermier n’enregistre aucune évolution.
La situation va même s’aggraver en octobre 2023, quand les vaches sont rentrées dans le bâtiment d’élevage. La baisse de production s’accélère. « Surtout, je suis contraint de pousser les vaches aux robots de traite. La chute de fréquentation est brutale », témoigne Fabien Pineau, âgé de 29 ans.
En décembre 2023, (la mise sous tension du parc a eu lieu en novembre 2023) les premiers problèmes sanitaires arrivent. « Et la première vache décède », poursuit l’agriculteur contraint de travailler jusqu’à 23 h 30. « Si je ne les avais pas poussées, il y aurait eu moitié moins de traite qu’en temps normal ».
Présence de fissures terrestres et de veines d’eau
La ferme passe de 160 traites à 120 traites par jour, « sachant que je poussais 40 vaches par jour au robot », poursuit-il.
Dans l’incompréhension, l’agriculteur fait appel à un géobiologue de la Chambre d’agriculture de Loire-Atlantique en janvier 2024. L’objectif est la recherche de risques externes. Comme la présence de courants parasites qui peuvent provoquer des dysfonctionnements dans les élevages, du fait de la très forte sensibilité des vaches.
Peu de choses sont trouvées lors des contrôles sur les terres et les installations électriques, si ce n’est la présence de fissures terrestres sous le bâtiment ainsi que des veines d’eau. Des corrections sont apportées autour de l’exploitation sur les failles d’eau.
« Dès le lendemain, la ferme enregistrait 160 passages à la traite par jour. La situation était comme à la normale, sans besoin de pousser les vaches ».
« Tout a rechuté, c’est le fiasco »
Cette bonne production va durer trois semaines, jusqu’à fin février 2024. « Période où le parc éolien est entré en production », pointe Fabien Pineau. L’agriculteur fait alors « le lien » entre les affections de son troupeau et la mise en action des six éoliennes situées à 800 mètres de l’exploitation.
« A cette période, tout a rechuté. Vaches malades, baisse de production, chute de la fréquentation aux robots, troupeau en mal-être, c’est le fiasco. » Fabien Pineau
Depuis, l’éleveur, toujours suivi par les services vétérinaires, a fait réaliser des diagnostics auprès de la Chambre d’agriculture et du Groupement de défense sanitaire pour vérifier que les anomalies ne provenaient pas de son exploitation.
Un audit indépendant par un organisme de sécurité électrique est également intervenu sur l’exploitation.
Les rapports montrent que les installations de la ferme, aux normes et dans les clous, n’expliquent pas ces dysfonctionnements. « Le bâtiment n’ayant pas été modifié récemment, des perturbations électriques sont de loin la première hypothèse », pointe dans ses conclusions le Groupement de défense sanitaire.
Un lien « avec un élément extérieur à la ferme »
Ce lien « avec un élément extérieur à la ferme », se révèle à nouveau le 1er mai, jour où le parc éolien a été mis hors tension en raison d’un défaut sur un câble qui arrive au poste source électrique.
« Ce jour-là, on a tout de suite vu que la fréquentation des vaches aux robots était meilleure. Dans la journée qui a suivi, la production et la qualité de lait sont reparties à la hausse », livre l’éleveur.
La situation de l’élevage va s’améliorer quelques jours avant de nouveau se dégrader. Aujourd’hui, les volumes de production sont toujours déficitaires. « Et j’ai deux autres vaches gravement malades », confie l’éleveur, à bout.
Le cas de l’exploitation de La Borderie a été au centre de plusieurs réunions qui ont rassemblé Fabien Pineau, Hervé Cremet, élu de la commune qui l’accompagne (lire encadré), des membres de la Chambre d’agriculture, des services vétérinaires et des représentants d’Enedis et d’EnergieTeam, gestionnaire du parc.
« Il y a un problème qui n’était pas là avant le parc éolien »
Adjoint à La Remaudière, Hervé Cremet accompagne Fabien Pineau, depuis le mois de mars. « C’est quelqu’un d’intelligent, qui a la tête sur les épaules. J’ai pris le temps de l’écouter, de regarder les documents et de me renseigner. Quand un agriculteur est en souffrance, mon rôle d’élu est de l’accompagner et de l’aider dans ses démarches. C’est logique », commente l’élu qui, six mois plus tard, est toujours aux côtés de l’éleveur. « Ce que je constate dans ce dossier, c’est qu’il y a un lien de corrélation entre un élément extérieur et un problème qui n’était pas là avant le parc éolien », poursuit-il.
« Ce n’est pas mon avis. Je me base sur des faits », martèle l’élu, qui déplore « l’absence du côté humain » dans cette affaire.
Au gré de ses recherches, l’élu a trouvé d’autres cas similaires à la ferme de la Borderie. « On retrouve les mêmes problèmes, mot pour mot. C’est le cas dans des exploitations en Ille-et-Vilaine et en Loire-Atlantique », explique Hervé Cremet qui a interpellé la préfecture sur le cas du Gaec de la Borderie. « La loi est ainsi faite. Il faut arriver à prouver scientifiquement les choses », dit-il.
« Qu’est-ce que l’on fait de toutes ces victimes collatérales du développement éolien », déplore Hervé Cremet.
Au regard du nombre d’installations, « ces cas-là sont des gouttes d’eau. Pourquoi n’arrive-t-on pas à trouver des solutions en mettant en place par exemple un fonds d’indemnisation à chaque implantation de parc ? », cite en exemple l’élu.
L’adjoint propose aussi de négocier dans les contrats d’exploitation des arrêts de parc en cas de problème. « Cela évitera bien des études, des soucis et des pertes d’argent », indique l’élu qui a commencé à nouer des contacts pour remonter les propositions au niveau national. Vu les enjeux et la complexité du sujet, le travail ne fait que commencer.
Demande de l’arrêt du parc
La première table ronde a eu lieu à Clisson, à la Maison régionale de l’agriculture. Deux autres échanges ont eu lieu en juillet. « A chaque fois, on présente les diagnostics qui montrent qu’un élément autre que la ferme vient perturber les vaches », indique l’éleveur.
La réponse des gestionnaires est toujours la même :
« Ils remettent en cause ce que pointent les comptes rendus. Pour eux, ces derniers n’ont pas de valeur scientifique. Ils nous disent que c’est à nous d’apporter la preuve du lien de causalité. » Fabien Pineau
A chaque rencontre, le producteur laitier a demandé un arrêt du parc éolien pour « voir les effets sur le troupeau ». Une demande rejetée par les gestionnaires. Aux arguments répétés, celles de la preuve, l’enjeu est aussi financier.
L’arrêt du parc représente un coût de 25 000 € par journée. Seule avancée, EnergieTeam et Enedis ont émis la proposition qu’un nouveau diagnostic soit réalisé par le Groupement permanent de sécurité électrique, instance financée par les opérateurs.
« Je ne veux pas être un rat de laboratoire pendant des décennies »
« Des diagnostics existent déjà. Cela va prendre des mois pour qu’il y ait une nouvelle étude. Et du temps, je n’en ai pas. Il y a urgence, je ne pourrais plus suivre. Et c’est sans parler de la fatigue physique (ndlr : 4 à 5 heures de travail en plus par jour l’hiver). Et de voir partir les bêtes. C’est le pire, c’est inhumain. » Fabien Pineau
L’éleveur a déjà perdu 80 000 € en un an. « 120 000 €, si l’on ajoute le temps de travail ».
Le producteur se donne jusqu’à fin septembre.
« Si rien ne change, cela va être compliqué. Si je m’entête, je m’enfonce et je coule. Je ne veux pas être un rat de laboratoire pendant des décennies. La seule solution, ce sera de quitter ma ferme et d’aller ailleurs », confesse celui dont les parents souffrent aussi de troubles du sommeil depuis des mois. Leur maison est proche du bâtiment d’élevage.
L’éleveur de La Remaudière n’est pas le seul à vivre cette situation. D’autres fermes de la région, en Loire-Atlantique et Ile-et-Vilaine, proches de parc éolien, constatent aussi des malfonctionnements.
Actu.fr