Que sont les éoliennes ?


Les éoliennes sont le symptôme d’un mal profond

En 2021, en France, les éoliennes sont toujours loin de faire l’unanimité. Malgré le projet de défense de la nature qu’elles soutiennent a priori, il semblerait que chacun ait quelque chose à leur reprocher. Ce ne sont pas seulement les climatosceptiques qui remettent en question la pertinence de ces turbines ; beaucoup d’entre nous, touchés par la présence d’éoliennes près de chez eux, se plaignent du bruit, de la dégradation du paysage et de l’impact sur leur santé mentale que ces grands moulins à vent semblent porter… Mais c’est surtout le danger qu’elles représentent pour la biodiversité, notamment les oiseaux, qui amène certains écologistes à se poser des questions.

Entretien avec Virginie Maris, philosophe de l’écologie et chercheuse au CNRS.

Quelle conception de la nature propose-t-on quand on défend les éoliennes ?

Virginie Maris : Il faut commencer par poser une prémisse : les éoliennes ne font pas partie d’un projet de protection de la nature ! Même si le coût carbone est moindre qu’avec d’autres sources d’énergies, elles ont tout de même vocation à produire de l’électricité. L’impact carbone est donc plus faible, mais jamais nul, parce qu’il y a un coût en matériaux et en transports. L’objectif est de le diminuer, de produire de l’électricité dite renouvelable. Cela maintient donc des habitudes de fortes consommations électriques, mais avec un impact carbone et climatique moindre. Ainsi, on voit que les éoliennes ont surtout vocation à maintenir des modes d’organisation dépendants d’une certaine consommation d’électricité. Éventuellement, elles pourraient remplacer le nucléaire pour éviter des problèmes de stockage. D’autre part, elles pourraient remplacer une petite partie des énergies fossiles, notamment du pétrole. Mais elles ne peuvent pas « sauver la nature ».

Personnellement, êtes-vous favorable aux éoliennes ?

Non, je ne les défends pas. Elles sont le symptôme d’un mal profond : celui du refus obstiné de remettre en question les voies de développement qui sont les nôtres et qui sont essentiellement basées sur une surconsommation énergétique. On fait ainsi payer à notre milieu naturel notre surconsommation (il faut voir les méga-barrages et les champs de panneaux solaires…). Mettre des éoliennes en même temps qu’on installe la 5G et qu’on fait des plans nationaux pour encourager la voiture électrique, c’est un non-sens. Ces grandes ailes produisent d’ailleurs des dommages importants : les éoliennes terrestres en particulier ont un impact sur la mortalité d’une grande quantité d’espèces d’oiseaux et de chauves-souris, qui entrent en collision avec les pales. Il y a aussi des effets de cascade sur les chaînes alimentaires. Si certains charognards, comme les vautours qui recyclent les carcasses, sont touchés, cela peut déséquilibrer tout l’écosystème. L’éolien offshore, quant à lui, a des effets documentés sur les oiseaux migrateurs et sur la faune marine, notamment sur les poissons. Donc quand je pense aux problèmes éventuels que peuvent poser les éoliennes, c’est davantage l’impact sur la biodiversité qui me vient immédiatement à l’esprit. La question paysagère n’est pas inintéressante, mais ces questions esthétiques sont très relatives. Je ne désespère pas que, le temps passant, les éoliennes puissent s’intégrer dans nos représentations du paysage.

C’est pourtant l’une des premières critiques qui a été opposée aux éoliennes. Peut-on apprécier leur présence dans le paysage ?

Ces éléments du paysage nous choquent par leur nouveauté. Mais il faut bien admettre que nos perceptions évoluent. Prenons l’exemple des plantations de pins Douglas dans le Massif central. Sur des hectares et des hectares, des plans rectilignes de pins se dressent. Un regard peu informé voit du vert et se dit qu’il y a de la forêt, tandis que les éoliennes apparaissent comme beaucoup plus artificielles. Mais un forestier qui connaît bien le paysage va voir l’impact négatif des plantations, en quoi la biodiversité, là non plus, n’est pas prise en compte. Encore une fois, la perception que l’on a des éoliennes pourrait être différente. On pourrait les voir d’un œil plus tolérant, qui perçoit en quoi elles sont le symbole d’une transition, d’une manière de se connecter avec le vent par exemple… Mais ces considérations esthétiques sont subjectives, elles dépendent du point de vue. Hiérarchiser les dégradations et les violences faites à la nature est complexe.

Nos regards vont-ils évoluer ? Faut-il remettre en question notre vision de la beauté de la nature ?

Je pense qu’ils évoluent sans cesse. Prenons la signalisation et la présence des automobiles qui sont, notons-le, extrêmement mortifères. Quant aux routes qui traversent le territoire, on ne peut pas dire qu’elles contribuent à la beauté du paysage. Et pourtant, on a normalisé cela. Dans les faits, il faut admettre que les éoliennes sont vraiment immenses mais il y a quelque chose de normalisable. La vraie question est : combien de temps cela va-t-il prendre ? Les paysages sont déjà saccagés, nous sommes déjà à un niveau d’artificialisation et de laideur incroyable.

Que penser de l’utilisation politique de la question des éoliennes ?

On assiste en ce moment à une levée de boucliers contre les éoliennes, avec des déclarations politiques très conservatrices. Les médias montent en épingle ces quelques prises de position car nous sommes en période électorale, mais il y a toujours eu des anti-éoliens. Il existe trois grands registres de contestations : d’abord le « not in my backyard », repris par Marine Le Pen, qui a comparé les éoliennes aux immigrés. Il s’agissait de montrer en quoi, sur le principe, tout le monde est pour l’énergie éolienne, mais pas chez soi. Le deuxième registre est plus focalisé sur l’économie : ces projets d’installations sont non-démocratiques car il n’y a qu’un petit nombre d’opérateurs sur-subventionnés qui sont autorisés à acquérir du foncier pour installer leurs éoliennes. Il s’agit souvent de terrains sur lesquels il y a de la pression foncière pour d’autres finalités : on préfère ainsi favoriser l’implantation d’éoliennes plutôt que de laisser des locaux utiliser le terrain à d’autres fins. De plus, le fait que cette petite poignée d’opérateurs soit subventionnée provoque un sentiment très amer. Enfin, le troisième registre critique que j’ai moi-même défendu est celui de l’impact de ces éoliennes sur la biodiversité. Ce dernier registre est souvent sous-estimé : aucune estimation cumulative de cet impact n’a d’ailleurs été faite… Du point de vue de l’écologie politique, on devrait donc prôner la sobriété et la décroissance drastique de notre consommation. Il faut arrêter la course en avant (par exemple, nos exigences de mobilité sur nos ressources électriques, ou la 5G). Voilà la véritable urgence. Après quoi l’on pourra penser l’éolienne comme une source de production énergétique, à petite échelle. La centrale villageoise qui existe déjà, est calibrée par rapport aux besoins.

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