Pour raccorder les nouveaux parcs solaires et éoliens ainsi que les bornes de recharge pour voitures électriques, mais aussi améliorer la résistance des câbles aux événements climatiques extrêmes, le gestionnaire français du réseau de distribution d’électricité, Enedis, prévoit d’investir plus de 5 milliards d’euros par an d’ici à 2032, contre moins de 3 milliards sur les quarante dernières années, a signalé la filiale d’EDF ce lundi. Ce qui promet de gonfler les coûts du système global, alors que son homologue sur la gestion des lignes à haute et très haute tension, RTE, anticipe lui aussi une explosion de ses frais.
Ce n’est un secret pour personne : le basculement du système énergétique actuel vers un modèle compatible avec l’urgence climatique coûtera (très) cher. Et pour cause, renoncer au pétrole, au gaz et au charbon impliquera d’injecter des dizaines de milliards d’euros afin de développer de nouvelles capacités de production bas carbone. Ce qui promet de renchérir l’électricité, dont la consommation montera en flèche pour se passer des combustibles fossiles.
Mais les frais ne s’arrêteront pas là. Car en parallèle, un autre poste de dépenses explosera : celui de l’adaptation du réseau de distribution d’électricité (les lignes basse et moyenne tension) à ces bouleversements. Son gestionnaire, Enedis, indique ainsi dans un nouveau rapport l’ampleur des investissements à venir : ceux-ci représenteront plus de 5 milliards d’euros annuels à horizon 2032, avec un pic à 5,5 milliards en 2027, contre 2,9 milliards en moyenne sur la période 1980-2020, a souligné la filiale d’EDF ce lundi. Le mouvement a d’ailleurs commencé, puisque ces investissements ont déjà atteint 4,4 milliards d’euros en 2022, soit près d’un milliard de plus qu’en 2019 si l’on exclut les dépenses liées à l’installation du compteur Linky.
Raccorder de nombreuses infrastructures décentralisées
En cause : la nécessité de raccorder au réseau national toujours plus de panneaux photovoltaïques, d’éoliennes et de bornes de recharge pour voitures électriques, tous éparpillés sur le territoire, mais aussi d’améliorer la résistance des câbles aux événements climatiques extrêmes, de plus en plus récurrents.
« Pour le raccordement des bornes de recharge, il faut passer de rien en 2019 à presque 1 milliard en 2027 ! […] Quant aux énergies renouvelables, on prévoit d’en raccorder 50% de plus que l’an dernier rien qu’en 2023, soit environ 5 à 6 gigawatts (GW) de puissance nouvellement installée », a illustré Hervé Champenois, le directeur technique d’Enedis.
C’est d’ailleurs en partie à cause de ces « frais cachés » qu’un scénario misant à 100% sur les renouvelables d’ici à 2050 s’avèrerait moins compétitif qu’une trajectoire intégrant du nucléaire, à la production beaucoup plus centralisée, avait noté le gestionnaire du réseau de transport d’électricité (RTE) dès novembre 2021 dans sa vaste étude « Futurs Énergétiques 2050 » Et ce, malgré la chute drastique des coûts de l’éolien et du solaire photovoltaïque ces dix dernières années, en parallèle de l’envolée des coûts des réacteurs EPR.
Message aux industriels
Ainsi, Enedis prévoit au total d’engager 96 milliards d’euros d’investissement d’ici à 2040, a signalé l’entreprise ce lundi à l’occasion de la publication de son plan « préliminaire » de développement du réseau. Il ne s’agit pour l’heure que d’estimations, puisque ce calcul évoluera selon la prochaine feuille de route énergétique, que le gouvernement doit faire voter prochainement dans la loi de programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) pour 2024-2033. Mais l’entreprise de 38.000 salariés, qui accélère d’ailleurs ses propres embauches, n’a pas attendu cette échéance pour envoyer un message à ses partenaires industriels, alors qu’Emmanuel Macron souhaite multiplier par dix la capacité de production d’énergie solaire d’ici à 2050, et déployer 50 parcs éoliens en mer.
« Cela veut dire à tous, c’est parti, ça décolle, faites des usines, vous pouvez investir sereinement et embaucher […] Il faut s’équiper et foncer », a affirmé à la presse Hervé Champenois.
Néanmoins, ces conclusions sont loin d’être surprenantes, puisque les hypothèses présentées ce lundi collent avec celles retenues dans le fameux rapport Futurs Énergétiques 2050 publié dès novembre 2021 par RTE. « Les investissements cumulés [d’Enedis] sur la période 2020-2050 sont estimés entre 4,1 et 6,3 milliards d’euros par an » selon le scénario retenu, pouvait-on déjà lire dans l’épais document. Logiquement, ces dépenses iront d’ailleurs de pair avec une hausse des charges liées au fonctionnement du réseau (OPEX), entre l’achat accru de matériel, la multiplication des zones à entretenir et l’augmentation du volume d’automates nécessaires pour piloter les lignes à distance. Résultat : le coût total annualisé d’Enedis devrait lui aussi flamber, en passant d’environ 12 milliards d’euros en 2020 à 15 à 18 milliards d’euros par an en 2050.
Pour se financer, la filiale d’EDF prévoit ainsi « un recours maîtrisé à de la dette » avec un programme d’émissions d’obligations vertes qui a déjà commencé et va se poursuivre. Mais aussi une revalorisation de la taxe d’acheminement de l’électricité, (ou Turpe), hausse qui sera là aussi « maîtrisée », avec des « hypothèses d’augmentation inférieure ou limitée à l’inflation dans la durée », promet-on en interne. « C’est dans notre ADN d’optimiser chaque euro investi, et de veiller à ce qu’on limite au maximum l’impact sur le consommateur en termes de de pouvoir d’achat », assure même Christophe Gros, directeur de la régulation chez Enedis. Néanmoins, cela risque forcément de se traduire par une hausse de la facture d’électricité, alors que la Turpe représente aujourd’hui environ 30% du tarif global payé chaque mois par les clients particuliers.
Hausse des coûts de transport
D’autant que ces frais s’ajouteront à ceux du réseau de transport d’électricité (les lignes haute et très haute tension et les pylônes), géré par RTE. Car il y aura, là aussi, « une augmentation significative des investissements et des coûts », qui sera d’autant plus importante que la pénétration des énergies renouvelables sera grande, peut-on lire dans Futurs Energétiques 2050. Et notamment pour le raccordement des éoliennes en mer, vouées à se multiplier selon le scénario privilégié par le gouvernement (même si « on ne peut exclure l’impact d’effets d’apprentissage ou d’améliorations technologiques » qui « permettraient une baisse sensible des coûts », nuance RTE).
Reste que ces dépenses seront incontournables. « C’est avant tout une opportunité, qui va permettre de décarboner l’économie », souligne-t-on chez Enedis. Et ce, afin que le réseau devienne la « colonne vertébrale de la transition énergétique », poursuit Hervé Champenois. Et pour cause, en France comme ailleurs, les coûts de l’inaction risqueraient d’être finalement bien plus élevés, alors que le parc nucléaire historique qui fournit à l’Hexagone 75% de son électricité en temps normal ne sera ni suffisant, ni éternel.
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Une autre solution ??