La pêche et les éoliennes en mer

Sont-elles si incompatibles ?

Certains pêcheurs et le Rassemblement National affirment que les éoliennes en mer nuisent grandement à la pêche professionnelle. La réalité est bien plus nuancée, notamment car les données sont loin d’être encore toutes disponibles.

« Les pêcheurs sont à nouveau sacrifiés au nom d’impératifs plus idéologiques qu’écologiques », telle est la position du Rassemblement National quant aux éoliennes en mer.

« On n’a pas le droit de pêcher dans la plupart de ces zones (où sont installées les éoliennes). C’est donc la double peine, les bateaux sont chassés de leur territoire de pêche traditionnelle et doivent aller plus loin », abondait récemment dans nos colonnes Jean-Vincent Chantreau, secrétaire général de l’Union française des pêcheurs artisans (UFPA).

Une affirmation fausse : dans les trois grands parcs éoliens actuellement en service en France (ceux de Saint-Nazaire, Saint-Brieuc et Fécamp), la pêche y est autorisée.

Mais il existe une réglementation précise pour chaque parc, mise en place par les préfectures maritimes. Des distances de sécurité sont instaurées. Ce sont des contraintes pour la pêche professionnelle, mais pas une interdiction.

Ce qui est en revanche plus certain, c’est que les « pêcheurs ne sont pas trop fans de l’éolien », reconnaît de son côté José Journeau, président du Comité régional des pêches des Pays de la Loire. Sa région a été la première à accueillir un parc « offshore », au large de Saint-Nazaire et mis en service fin 2022.

« Grosse colonisation »

Trois ans après, le représentant des pêcheurs affirme pourtant « ne pas avoir trop de remontées du terrain. On vient de faire deux très bonnes années pour le bar. A priori, il y a une grosse colonisa􀀘on de la faune marine sur les ouvrages comme les pieux, elle revient très rapidement », résume-t-il.

Mais attention, cela ne signifie pas que l’installation du parc de Saint-Nazaire est neutre sur le métier. Si les arts dormants (comme les lignes, les casiers, etc.) s’en sortent visiblement bien, les arts traînants (notamment les chaluts), eux, « ont fait un sacrifice. Ils étaient à la marge, oui, mais ils sont quand même exclus de la zone de 70 km² », rappelle José Journeau.

La zone, essentiellement rocheuse, limitait déjà grandement leur utilisation.

Disparition des bulots

Plus au nord, le parc éolien de Saint-Brieuc (Côtes-d’Armor), lui, a fêté sa première année d’activité le 1er juillet dernier. Et là, le bilan semble plus difficile à établir.

« L’effet récif (où les poissons sont attirés par les constructions) ne se fait pas encore sentir. Après, est-ce qu’il y en a moins qu’avant… Je ne peux pas le certifier », souligne Grégory Métayer, le président du Comité départemental des pêches costarmoricain.

Les pêcheurs de bulots, par exemple, « ne trouvent plus leur compte. Mais c’est aussi lié au réchauffement climatique : en dehors du parc aussi c’est compliqué », explique le pêcheur qui se définit comme « an􀀧-parc éolien ».

Car au-delà des conséquences sur la pêche, qui paraissent pour l’instant relativement limitées, le patron du petit chalutier-coquiller Le Pearl ne veut pas de ce􀁓e « industrialisa􀀘on de la mer, qui était encore plus ou moins sauvage. Les industriels et les politiques n’ont plus de place sur terre alors ils massacrent les fonds en déversant des tonnes de béton et d’aluminium dans la mer. C’est navrant », lance-t-il.

Des suivis assez récents

Avec trois grands parcs en service, on pourrait penser que les conséquences des éoliennes en mer sur les ressources halieutiques (marines) sont déjà bien documentées en France. Mais ce n’est pas le cas. « Les suivis n’ont commencé que très récemment avec la mise en service des parcs », explique Marion Cuif, coordinatrice des expertises sur les énergies marines renouvelables (EMR) à l’IFREMER (l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer).

À l’étranger, certains parcs sont en service depuis bien plus longtemps. Les études sur ces parcs montrent « qu’il faut bien plus que deux ou trois ans pour évaluer les conséquences des parcs éoliens sur les ressources halieutiques », poursuit-elle.

Par exemple, l’effet récif fonctionne-t-il vraiment ? « On ne le sait pas encore. Localement, oui, cela peut attirer des poissons. Mais est-ce que cela a􀀽re simplement des poissons venus d’ailleurs, ou est-ce que cela fait vraiment augmenter le nombre de poissons d’un stock global ? », s’interroge-t-elle. De plus, il semble difficile de transposer les observations à l’étranger aux parcs français, car chaque parc a ses spécificités.

Manque d’outils

En France, les pouvoirs publics n’ont pris que récemment la mesure du défi de la récolte et du traitement des données sur le lien entre parcs éoliens et pêche. « Il existe, dans la loi, l’obligation pour les porteurs de projet éolien de partager des données (sur la biodiversité dans le parc) », explique Marion Cuif, de l’Institut français de recherche pour l’exploita􀀧on de la mer.

« Mais il manque les outils pour avoir accès à l’ensemble des informations collectées dans les parcs », poursuit-elle.

Pour pallier ce manque d’informations, l’Ifremer planche sur un projet appelé DATAEMR (mélange de « données » et « EMR »). La version de test sera lancée « avant la fin de l’année », et « les premiers outils seront prêts pour fin 2026 », détaille la spécialiste.

Quid de l’éolien flottant ?

Les trois parcs principaux en service sont tous composés d’éoliennes dites posées, fixées au fond de la mer. Or les pouvoirs publics misent aussi sur la construction, plus loin des côtes, d’éoliennes dites flottantes, maintenues par des câbles et non des pieux.

Les intérêts sont multiples : au large, il y a davantage de vent. Loin des côtes, ces éoliennes gêneraient moins les riverains.

Et la construction, sans pieu à poser au fond de l’eau, dérangerait beaucoup moins la faune marine.

Mais il n’est pas certain que les pêcheurs, qui iraient aussi au large, trouvent leur compte. « Cela reste à démontrer, mais on peut supposer que les parcs éoliens flottants, qui comptent bien plus de câbles que les parcs posés, pourraient davantage gêner la pêche. Le risque d’accrochage entre un câble et un engin de pêche serait plus grand », suppose Marion Cuif.

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