Présente au moment de l’impact, l’herpétologue Solenne Muller a confié l’oiseau à la Ligue de Protection des Oiseux pour l’autopsier. Le constat ? La bonne santé de l’animal avant le choc mortel démontre que les éoliennes peuvent s’illustrer comme de véritables espaces mortifères pour les oiseaux.
Un circaète Jean-le-Blanc ? C’est une espèce de rapaces majestueux spécialisée dans la chasse aux reptiles. Depuis l’arrêté ministériel du 17 avril 1981 relatif aux oiseaux protégés sur l’ensemble du territoire, il bénéficie en ce sens d’une protection totale en France.
Il est donc interdit de le détruire, le mutiler, le capturer ou l’enlever, de le perturber intentionnellement ou de le naturaliser, ainsi que de détruire ou enlever les œufs et les nids et de détruire, altérer ou dégrader leur milieu.
« Le choc entre l’animal et une pale ne faisait aucun doute. »
Le 22 mai précisément, Solenne Muller, herpétologue de profession, étudie les amphibiens à l’étang des Barthes, à deux pas des six éoliennes implantées dans le secteur. Elle est accompagnée du photographe Simon Bugnon.
Ses observations sont alors perturbées par un bruit sec et sourd, provenant d’un des aérogénérateurs. « Le bruit était une sorte de gros « Poc », partage-t-elle. J’ai tout de suite tourné la tête et j’ai assisté à la chute d’un gros rapace le long de la première éolienne. Le choc entre l’animal et une pale ne faisait aucun doute ».
D’après une étude de la Ligue de Protection des Oiseaux (LPO), 56 000 oiseaux sont tués chaque année par les éoliennes en France. Les pertes totales sont difficiles à quantifier, une partie des cadavres étant récupérée par les prédateurs naturels.
« Le choc a été tellement violent que tous ses organes ont été déplacés à l’intérieur. »
La scientifique et son camarade accourent aussitôt vers le pied de l’éolienne et découvrent l’oiseau inanimé. Elle reconnaît alors un circaète Jean-le-Blanc, une espèce emblématique. « Naïvement, je pensais peut-être qu’il pouvait encore être en vie et agir en fonction, confie Solenne Muller. Mais le choc l’avait terrassé instantanément ».
Elle poursuit : « Nous avons contacté la LPO, mais également la mairie et des élus locaux pour les prévenir. La Ligue de Protection des Oiseaux l’a pris en charge et l’a confié à son tour à l’Office Français de la Biodiversité (OFB) ».
Le circaète est ensuite ausculté par un vétérinaire. Non seulement l’autopsie révèle que le rapace était en bonne santé avant le choc, dénué de maladies quelconques ou d’un problème visuel, mais que c’est bien la pale qui lui a pulvérisé le corps. « Le choc a été tellement violent que tous ses organes ont été déplacés à l’intérieur », décrit Solenne Muller.
« Il est vraiment étonnant de construire de type d’engin dans des espaces aussi foisonnant de vie. »
Selon l’OFB, sans la présence de Solenne Muller sur place au moment des faits, « cette preuve que les éoliennes ont des conséquences sur la mortalité des oiseaux serait restée sans effet ». Solenne Muller d’expliquer en ce sens : « Il est très rare d’assister à ça en direct. Et il est évident que cette mort d’un rapace protégé n’est pas un cas isolé, car les cadavres sont vite emportés par les renards et d’autres prédateurs terrestres ».
Elle s’interroge alors : « Ce que je ne comprends pas, c’est l’implantation de ces éoliennes. Les rapaces, comme le circaète, sont des chasseurs de reptiles. Or, l’étang de Barthes est très riche en amphibiens et en serpents à l’instar des couleuvres, par exemple. Il est vraiment étonnant de construire de type d’engin dans des espaces aussi foisonnant de vie, dans des lieux où la biodiversité est très dense ».
« Le monde merveilleux des éoliennes n’est pas aussi beau que les promoteurs veulent bien le laisser croire. »
Le président de l’Association pour la Préservation des Paysages Exceptionnels du Mézenc (APPEM), Gilbert Richaud, se bat depuis des années, aux côtés d’autres personnes, pour justement montrer du doigt l’effet délétère que produisent les éoliennes dans ce lieu de nature préservé.
« Il faut arrêter de prendre les gens pour des naïfs, lance-t-il. Le monde merveilleux des éoliennes n’est pas aussi beau que les promoteurs veulent bien le laisser croire. Ces constructions, notamment dans un lieu tel que le Mézenc, sont une catastrophe pour toute la biodiversité, l’avifaune (les oiseaux, Ndlr) et les animaux terrestres. Sans parler de l’impact visuel pour les habitants et les touristes ».
Il ajoute : « D’après les remontées qui nous ont été faites à propos du circaète fauché par une éolienne, le promoteur ne reconnaît pas la cause direct de l’engin. Il affirme que l’oiseau devait être malade ou victime d’un problème visuel ». Sauf que l’autopsie contredit en totalité les arguments d’EDF Renouvelables.
Nous avons cherché, par le biais d’un mail, à nous entretenir avec le promoteur des éoliennes de Freycenet-la-Tour, EDF Renouvelables. Nous voulions savoir si des dispositifs équipaient les éoliennes pour éviter les accidents avec les volatiles. Nous n’avons eu aucun retour.
« La maman étant morte, son petit a bien entendu aucun espoir de grandir et de survivre. »
Gilbert Richaud rappelle aussi que la mort de ce circaète a réduit à zéro les chances de survie de son oisillon. « D’après sa plaque incubatrice, c’était une femelle qui avait un petit au nid », se désole-t-il.
Il déplore alors : « La maman étant morte, son petit n’a bien entendu aucun espoir de grandir et de survivre ».
Selon une récente étude de la Royal Society for the Protection of Birds (RSPB), près de 600 millions d’oiseaux nicheurs ont disparu en Europe depuis 1980. Les chats tueraient environ 75 millions d’oiseaux par an en France. Outre les collisions avec des lignes électriques, des véhicules et des vitres, les principales causes d’effondrement des espèces d’oiseaux sont l’utilisation des pesticides dans l’agriculture intensive
Quand le noir redonne des couleurs
En France, pas ou peu de dispositifs anticollision avec les oiseaux existent. Et comme à l’accoutumée, ce sont encore les pays scandinaves les plus en avance sur le sujet. Des chercheurs norvégiens ont ainsi suivi pendant 10 ans plusieurs machines dans la centrale éolienne de l’archipel de Smøla. Certaines avaient les pales peintes en noir, et d’autres non.
L’étude rapportée par le journal Ecology and Evolution démontre que cette simple opération a permis de diminuer drastiquement les chocs avec les oiseaux, réduisant de 71,9 % le taux de mortalité des oiseaux par rapport aux turbines restées d’un blanc immaculé.